Pollution

Erika


Météo-France et l'Erika

 

Les Français ont été profondément choqués, pour ne pas dire scandalisés, par les conditions dans lesquelles s’est produit le naufrage de l’Erika. Ils sont encore traumatisés par les conséquences de cette catastrophe écologique, face à laquelle s’est organisé un formidable élan de solidarité. Dans ce contexte n’est-il pas déplacé d’expliquer que Météo-France a prévu correctement la dérive des nappes. Cette analyse est pourtant nécessaire, ne serait-ce que pour répondre à ceux qui demandent avec raison qu’on ne revoie « plus jamais ça ».

 

La responsabilité de Météo-France consiste à informer le Cedre de la trajectoire probable des nappes de pétrole pour permettre aux autorités d’organiser au mieux la lutte contre la pollution. Cette prévision de dérive dépend de la position des nappes repérées en mer grâce aux moyens mis en œuvre par le Préfet maritime. Elle est réalisée au moyen d’un modèle numérique combinant le comportement de l’océan et l’évolution physico-chimique du polluant.

 

Deux questions se sont posées : a-t-on sous-estimé, dans les premiers jours qui ont suivi le naufrage, le risque de pollution du rivage ? Météo-France s’est-il trompé en situant les points d’impact du fioul en Loire-Atlantique et en Vendée, alors que le Finistère et le Morbihan ont été également gravement touchés ? 

 

Après le naufrage, survenu le dimanche 12 décembre au petit matin, divers éléments ont pu conduire les premiers jours à un optimisme un peu excessif du PC Polmar : l’étanchéité espérée des épaves à  120 m de fond, la consistance du fioul et enfin la force de la tempête, supposées favorables à une dispersion naturelle du polluant avant leur arrivée sur la côte.

 

Mais pour sa part, Météo-France a simulé la dérive des polluants et sur la base de ces simulations, M. Jean-Claude Gayssot a pu déclarer dès le 14 décembre à l’Assemblée nationale que « le risque d’une catastrophe écologique ne pouvait être écarté. »

 

Quant à la fiabilité des prévisions du modèle Mothy la démonstration en a été apportée ainsi. Dès le 12 décembre, ce modèle proposait un scénario qui devait se révéler rapidement plus réaliste que les modèles anglais et américains. Selon ces modèles étrangers le fioul aurait dû toucher la côte dès le 17, alors que le premier impact n’a eu lieu que dans la nuit du 24 au 25. A cette échéance, Mothy situait encore la dérive bien au large, là où les observations ultérieures la situeront effectivement. Les prévisions de dérive à longue échéance devaient ensuite montrer que le polluant resterait longtemps en mer. Les autorités ont été prévenues de ce fait essentiel qui permettait de planifier au mieux les moyens de lutte (recours à des navires étrangers, par exemple, qui auront le temps de rejoindre la zone). En fait du 12 au 23 décembre les repérages en mer devaient confirmer avec une précision assez remarquable les prévisions de dérive des jours précédents. Ainsi, le 18 décembre, Météo-France a mouillé une bouée dérivante dans les nappes repérées par le PC Polmar et dont le Cedre nous avait demandé de prévoir la dérive. Cette bouée devait échouer à l’échéance prévue  – le 25 décembre – et à l’endroit annoncé – Noirmoutier, (cf. encadré ci-dessous).

 

Le 21 décembre l’observation en mer révélait la présence de 13 nappes à 105 km de Belle-Île, 72 km de l’île d’Yeu et 144 km de l’île d’Oléron « confirmant une nouvelle fois les prévisions de dérive de Météo-France » indique le bulletin du Cèdre. Les prévisions de Mothy ce même jour annoncent un impact sur la côte ouest de l’île d’Yeu dans la nuit du 24 au 25 décembre.

 

L’impact aura bien lieu dans la nuit du 24 au 25, mais sur les côtes sud de Belle-Île et ensuite sensiblement plus à l’ouest le long des côtes du Finistère et du Morbihan. Météo-France s’est-il donc trompé ?

 

Le 21 décembre peut-être, car la tempête ultérieure devait faire remonter plus au nord les nappes observées. Mais le 23 décembre à l’émission matinale des « quatre vérités » sur France 2, M. Jean-Claude Gayssot indiquait : « à cette heure-ci, selon les modèles de Météo-France, on pense que l’impact avec la terre va se faire le samedi 25 décembre, mais contrairement à ce qui se disait, ce ne serait pas l’île d’Yeu qui serait la première concernée, mais le littoral entre le Croisic et Noirmoutier ».

 

Ainsi avec pratiquement deux jours de préavis, ce qui constitue tout de même une échéance raisonnable de prévision, on savait qu’une partie de la nappe  remontrait un peu plus au nord qu’on ne le pensait le 21 et que le reste des polluants observés serait rabattu vers le sud de l’estuaire de la Loire et la côte vendéenne. C’est ce scénario qui s’est effectivement concrétisé.

 

Mais alors, que dire pour le Finistère et le Morbihan ? Simplement qu’il était physiquement impossible que les nappes qui se trouvaient le mardi à 105 km de Belle-Île aient pu dériver jusqu’à Quiberon et Penmarch le samedi, qui plus est avec des vents de sud-ouest ! Il est désormais reconnu qu’une partie du fioul a échappé aux observations, car les conditions météorologiques étaient exécrables et qu’il est plus que probable qu’une partie de la cargaison a fui des épaves et cela peut-être même avant la cassure du navire. Il faut à cet égard être au clair. Météo-France ne tire aucune satisfaction de ce constat, mais souligne simplement que, dans les leçons à tirer de ce drame douloureux, il faudra améliorer à l’avenir la surveillance des nappes et inclure dans les choix opérationnels une préoccupation météorologique plus scientifique, ce que faciliterait sans aucun doute l’adjonction de Météo-France dans le dispositif du plan Polmar.

 

Jean-Pierre Beysson

PDG de Météo-France

 

Article paru dans Atmosphériques n°6, Avril 2000